Le Rapport sur les Objectifs de Développement Durable (ODD) 2024 des Nations Unies présente un diagnostic sans appel : l’Agenda 2030, feuille de route ambitieuse pour un avenir durable, est gravement menacé. À mi-parcours, seulement 17 % des cibles sont en bonne voie d’être atteintes, tandis que près de la moitié des cibles montrent des progrès minimes ou modérés, et plus d’un tiers sont au point mort ou ont même régressé par rapport à la situation de 2015. Cette trajectoire alarmante est le produit d’une confluence de crises mondiales – de la pandémie de COVID-19 aux conflits armés, en passant par le chaos climatique et les profondes inégalités – qui menacent d’annuler des décennies d’avancées. Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, insiste sur l’impératif d’une action audacieuse et concertée, soulignant que la situation ne s’améliorera pas d’elle-même. Pour remettre les ODD sur les rails, il est crucial de prioriser la paix, de renforcer la solidarité internationale par des financements massifs, d’accélérer les transitions critiques (alimentation, énergie, connectivité numérique) et d’intensifier la lutte contre les barrières de genre. Au cœur de cette démarche se trouve la nécessité de données de haute qualité, actualisées et désagrégées, indispensables pour identifier les défis, formuler des solutions et suivre les progrès.
1. L’impact multidimensionnel des crises en cascade : une analyse approfondie
Les crises mondiales actuelles ont des effets dévastateurs et souvent interconnectés sur tous les ODD, révélant la fragilité des systèmes existants :
• La Pandémie de COVID-19 : Un Frein Dévastateur au Développement Humain La pandémie a eu un coût humain et socio-économique immense, annulant près de dix ans de progrès en matière d’espérance de vie mondiale. Entre 2020 et 2021, la COVID-19 a directement ou indirectement causé près de 15 millions de décès. Les systèmes de santé mondiaux ont été submergés, et les services essentiels ont été perturbés dans 92 % des pays fin 2021. L’accès inéquitable aux vaccins était flagrant en mai 2022, avec seulement 17 % de la population des pays à faible revenu ayant reçu au moins une dose, contre plus de 80 % dans les pays à revenu élevé. Sur le plan de la santé mentale, le nombre de personnes souffrant d’anxiété ou de dépression a augmenté d’environ 25 % en 2020, touchant particulièrement les jeunes et les femmes. Sur le front de la pauvreté, la pandémie a annulé trois ans de progrès mondiaux, faisant grimper le taux de pauvreté extrême en 2020 pour la première fois en des décennies. En 2022, 23 millions de personnes supplémentaires vivaient dans l’extrême pauvreté par rapport à 2019. La pauvreté des travailleurs a également augmenté pour la première fois en deux décennies en 2020. L’éducation, pilier du développement durable, a été profondément affectée. On estime que 147 millions d’enfants ont manqué plus de la moitié de leur scolarité en présentiel entre 2020 et 2021. Les évaluations récentes (PISA 2022) montrent un déclin significatif des compétences en mathématiques (15 points) et en lecture (10 points) dans de nombreux pays. Les filles et les enfants défavorisés ont été touchés de manière disproportionnée par les fermetures d’écoles, accentuant les inégalités éducatives existantes.
• Conflits Armés et Déplacements Forcés : Une Crise Humanitaire Aiguë Le monde est confronté au plus grand nombre de conflits violents depuis 1946, avec un quart de la population mondiale vivant dans des pays touchés par des conflits fin 2020. Ces conflits ont engendré le nombre le plus élevé de personnes déplacées de force jamais enregistré, atteignant près de 120 millions en mai 2024. Le nombre de réfugiés sous le mandat du HCR a atteint un record de 37,4 millions fin 2023, ayant doublé en moins de sept ans. Les pertes civiles dans les conflits armés ont bondi de 72 % entre 2022 et 2023, la plus forte augmentation depuis l’adoption de l’Agenda 2030. En 2023, 4 civils sur 10 tués étaient des femmes et 3 sur 10 étaient des enfants. La guerre en Ukraine, en particulier, a exacerbé les crises alimentaire, énergétique, humanitaire et migratoire, faisant grimper les prix des denrées alimentaires, du carburant et des engrais. En 2023, 8 177 migrants ont perdu la vie, faisant de cette année la plus meurtrière enregistrée depuis 2017 pour les migrants.
• Le Chaos Climatique : Un Multiplicateur de Crises et une Menace Existentielles Les changements climatiques agissent comme un « multiplicateur de crise ». L’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée, avec des températures moyennes mondiales dangereusement proches de la limite inférieure de 1,5°C de l’Accord de Paris. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) et les concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone ont atteint de nouveaux records en 2022, sans signe de ralentissement en 2023. En 2021, les émissions de CO2 liées à l’énergie ont augmenté de 6 %, annulant les réductions liées à la pandémie en 2020. Les subventions aux combustibles fossiles ont atteint un niveau record de plus de 1,5 billion de dollars en 2022. Les catastrophes liées au climat ont été multipliées par cinq au cours des 50 dernières années. On prévoit jusqu’à 560 catastrophes de moyenne à grande échelle par an d’ici 2030, soit en moyenne 1,5 par jour, représentant une augmentation de 40 % par rapport à 2015. Les enfants nés aujourd’hui devraient connaître jusqu’à cinq fois plus de phénomènes météorologiques extrêmes d’ici 2100 si les températures continuent d’augmenter. Le stress hydrique est également en hausse, avec 74,8 % en Asie centrale et du Sud et 79,7 % en Afrique du Nord et en Asie de l’Ouest connaissant des niveaux élevés à critiques en 2021. Les zones humides mondiales, des écosystèmes vitaux, ont vu plus de 85 % de leur superficie disparaître au cours des 300 dernières années. L’acidification des océans, qui absorbent une partie des émissions de CO2, continue de menacer la vie marine et la capacité de l’océan à modérer le climat.
2. Les Lacunes Systémiques et les Inégalités Persistantes : Un Système Économique et Social Injuste
Les crises mondiales sont exacerbées par les carences structurelles et les inégalités inhérentes au système économique et financier mondial.
• Pauvreté et Inégalités de Revenus : La croissance par habitant dans la moitié des pays les plus vulnérables (éligibles à l’IDA) est désormais plus lente que dans les économies avancées, une première ce siècle, menaçant d’inverser la tendance à l’égalité des revenus entre pays. Un quart de la population des pays IDA vit avec moins de 2,15 dollars par jour, soit plus de huit fois le taux de pauvreté extrême du reste du monde. Après un rebond temporaire pendant la pandémie, la part des revenus du travail dans le PIB a repris sa baisse à long terme en 2021, ce qui exerce une pression à la hausse sur les inégalités.
• Dette Insoutenable : Le stock de dette extérieure des pays à faible et moyen revenu reste à des niveaux sans précédent. Environ 60 % des pays à faible revenu sont à haut risque de surendettement ou en sont déjà victimes, détournant des ressources précieuses de besoins de développement critiques tels que la réduction de la pauvreté, l’action climatique, la santé et l’éducation.
• Financement Insuffisant des ODD : L’écart d’investissement pour les ODD dans les pays en développement s’élève désormais à 4 000 milliards de dollars par an, avec plus de la moitié (2 200 milliards de dollars) nécessaire pour la seule transition énergétique. Cet écart est 60 % plus élevé que l’estimation de 2019. Bien que le financement climatique fourni par les pays développés ait atteint 115,9 milliards de dollars en 2022, atteignant la cible de 100 milliards pour la première fois, cela reste une fraction des quelque 6 000 milliards de dollars nécessaires pour les plans d’action climatique des pays en développement d’ici 2030. De plus, les pays en développement ne sont pas équitablement représentés dans la prise de décision économique internationale, avec une part de vote limitée dans des institutions comme la Banque mondiale.
• Accès Inéquitable aux Services : Plus de la moitié de la population mondiale n’est pas couverte par les services de santé essentiels. En 2021, 4,5 milliards de personnes n’avaient pas accès à ces services. En 2022, 2,2 milliards de personnes manquaient encore d’eau potable gérée en toute sécurité, 3,5 milliards de services d’assainissement gérés en toute sécurité, et 2 milliards de services d’hygiène de base. Pour atteindre la couverture universelle d’ici 2030, le monde a besoin d’une amélioration six fois plus rapide de l’accès à l’eau potable, cinq fois plus rapide pour l’assainissement et trois fois plus rapide pour l’hygiène de base.
• Inégalités de Genre : L’égalité des sexes reste insaisissable, avec seulement 17 % des cibles de l’ODD 5 en bonne voie. En 2024, les femmes occupaient 26,9 % des sièges dans les parlements nationaux. Au rythme actuel, il faudrait 176 ans pour atteindre la parité dans les postes de direction. Les femmes consacrent en moyenne 2,5 fois plus de temps que les hommes aux travaux domestiques et de soins non rémunérés. Une fille sur cinq se marie encore avant l’âge de 18 ans, et 230 millions de filles et de femmes ont été soumises à des mutilations génitales féminines.
• Numérique et Données : Bien que 67 % de la population mondiale soit en ligne en 2023, 2,6 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à Internet. Des lacunes de données importantes persistent pour le suivi des ODD, notamment pour l’égalité des sexes (ODD 5), l’action climatique (ODD 13) et la paix, la justice et les institutions solides (ODD 16). Environ un tiers des indicateurs manquent de données pour les trois dernières années, entravant la prise de décision. La disponibilité de données désagrégées par sexe et par d’autres caractéristiques (comme le handicap) diminue considérablement, rendant invisibles les groupes les plus marginalisés. Le financement des systèmes statistiques nationaux reste insuffisant, particulièrement dans les pays à faible revenu, où seulement 35 % des plans statistiques nationaux étaient entièrement financés en 2023.
3. Les Voies de l’Espoir : Accélérer les Progrès et Renforcer la Coopération
Malgré ces défis colossaux, le monde a démontré sa capacité à résoudre des problèmes complexes par des efforts collectifs. Des progrès encourageants ont été réalisés dans la réduction de la mortalité infantile, des infections au VIH, de l’accès à l’eau potable, à l’assainissement, à l’énergie et au haut débit mobile. Ces « signes prometteurs » doivent être transformés en une dynamique accélérée et transformative.
Pour ce faire, des actions audacieuses sont impératives :
• Instaurer une Paix Durable : La résolution des conflits armés par le dialogue et la diplomatie, ainsi que la prévention des futurs conflits en respectant la Charte des Nations Unies, sont des conditions préalables au développement durable.
• Renforcer la Solidarité et Réformer le Financement Mondial : Les pays en développement ont un besoin urgent de ressources financières accrues et d’une marge de manœuvre budgétaire. Une réforme de l’architecture financière internationale, jugée « dépassée, dysfonctionnelle et injuste », est nécessaire pour faciliter des investissements bien plus importants dans les ODD. Le Secrétaire général propose un « SDG Stimulus » d’au moins 500 milliards de dollars par an pour débloquer des financements supplémentaires.
• Accélérer les Transitions Critiques : Des investissements massifs et des partenariats plus efficaces sont nécessaires pour stimuler les transitions dans des secteurs clés tels que l’alimentation, l’énergie et la connectivité numérique.
◦ Énergie : La capacité mondiale de production d’électricité à partir de sources renouvelables connaît une expansion sans précédent, offrant une opportunité tangible de tripler cette capacité d’ici 2030. Il est crucial d’accélérer l’électrification et d’améliorer l’efficacité énergétique.
◦ Alimentation : Il est impératif de transformer les systèmes alimentaires pour les rendre durables, résilients et équitables, et de s’attaquer au gaspillage alimentaire, qui a atteint 1,05 milliard de tonnes métriques en 2022.
◦ Numérique : Combler la fracture numérique et investir dans les infrastructures et l’accès abordable à Internet pour les 2,6 milliards de personnes non connectées est essentiel.
• Prioriser l’Égalité des Sexes : Un effort concerté pour démanteler les obstacles de genre et autonomiser toutes les femmes et les filles est fondamental, car les ODD ne peuvent être atteints sans l’égalité des sexes. Cela inclut le renforcement des lois non discriminatoires, l’élimination des pratiques préjudiciables et l’augmentation des femmes aux postes de direction.
• Investir dans les Données et la Gouvernance : Des investissements accrus dans les infrastructures de données et la production statistique de qualité sont cruciaux pour des politiques fondées sur des preuves. Les bureaux nationaux de statistique doivent renforcer leur rôle de coordination au sein de l’écosystème de données national, en nouant des partenariats avec les secteurs public, privé et la société civile, et en engageant activement les citoyens dans la production de données pour ne laisser personne de côté. L’amélioration de l’ouverture et de l’utilisation des données est également essentielle pour maximiser leur impact.
Les prochaines opportunités cruciales, offrent des plateformes vitales pour des avancées significatives. Le temps des paroles est révolu ; il est impératif d’agir maintenant, et d’agir avec audace, pour concrétiser la promesse d’un monde meilleur, plus durable et inclusif d’ici 2030