Adoptés en 2015, les Objectifs de Développement Durable (ODD) constituent une feuille de route universelle visant à éradiquer la pauvreté, protéger la planète et garantir la prospérité pour tous. À moins de cinq ans de l’échéance de 2030, les évaluations successives des Nations Unies indiquent que la trajectoire actuelle reste largement insuffisante. La conjonction de crises mondiales sanitaires, géopolitiques, climatiques et économiques a ralenti, voire inversé, plusieurs avancées majeures, remettant en cause la réalisation des ODD.
Un état d’avancement préoccupant
Selon le Rapport mondial 2024 sur les Objectifs de Développement Durable, seuls 17 % des cibles sont actuellement considérées comme atteintes ou en bonne voie de l’être. En parallèle, 48 % des cibles ne présentent que des avancées modestes (30 % de progrès marginaux et 18 % de progrès modérés), tandis que 35 % sont soit en stagnation (18 %), soit en régression (17 %) par rapport à leur niveau de référence de 2015. Ces tendances confirment les avertissements formulés dès 2022 par le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, qui alertait sur la menace croissante pesant sur l’Agenda 2030. D’autres analyses, notamment le Global Sustainable Development Report 2023 du Groupe indépendant de scientifiques mandaté par l’ONU, corroborent ce diagnostic, pointant des retards structurels dans les domaines de la lutte contre les inégalités, de la justice climatique et de la gouvernance inclusive. De même, le Sustainable Development Report 2024 publié par le SDSN (Sustainable Development Solutions Network) note une détérioration ou une stagnation dans la majorité des pays en ce qui concerne les ODD liés à la biodiversité, aux systèmes alimentaires, à la paix et aux institutions. Dans l’ensemble, ces constats témoignent d’une dynamique insuffisante pour espérer atteindre les cibles fixées d’ici 2030, et appellent à une réorientation stratégique des efforts nationaux et internationaux.
Cet article souligne les domaines où des vulnérabilités persistent et les stratégies d’adaptation pour un avenir plus durable.
• Les vulnérabilités persistantes :
◦ Santé : Bien que des progrès aient été réalisés dans la lutte contre les maladies infectieuses (réduction de la mortalité infantile et des infections au VIH), la pandémie a ralenti les progrès en matière de couverture sanitaire universelle, laissant des milliards de personnes sans accès aux services essentiels ou sujettes à des dépenses de santé catastrophiques. Les inégalités dans l’accès aux vaccins persistent.
◦ Éducation : Des millions d’enfants ont manqué une partie importante de leur scolarité en présentiel, et des déclins significatifs ont été observés dans les compétences en mathématiques et en lecture. Les enfants des ménages les plus pauvres et des zones rurales sont les plus touchés.
◦ Emploi et économie : Le chômage mondial a atteint un niveau historiquement bas en 2023, mais les femmes et les jeunes continuent de faire face à des taux de chômage plus élevés. L’emploi informel concerne plus de 2 milliards de travailleurs dans le monde, la majorité manquant de protection sociale.
◦ Gouvernance et justice : La corruption demeure généralisée, avec environ une entreprise sur six confrontée à une demande de pot-de-vin. Les prisons sont souvent surpeuplées, et un tiers des détenus sont en attente de jugement. Les budgets gouvernementaux peinent à retrouver leur fiabilité d’avant la pandémie en raison des nouvelles pressions internationales.
• Stratégies d’adaptation et voie à suivre : Les rapports insistent sur la nécessité d’investissements massifs dans la protection sociale, les infrastructures de données, les systèmes de santé et d’éducation, et la promotion d’une transition juste vers des économies vertes. La coopération internationale et les partenariats multisectoriels (public, privé, société civile) sont jugés essentiels pour renforcer la résilience et accélérer la réalisation des ODD.
Les Crises Convergentes qui Dévient la Trajectoire
Plusieurs crises mondiales interconnectées ont freiné considérablement les progrès, voire ont provoqué des régressions sur de multiples fronts.
• La Pandémie de COVID-19 : Un Frein aux Progrès Mondiaux La pandémie de COVID-19 a eu des effets dévastateurs, annulant des années d’avancées dans de nombreux domaines. Elle a coûté la vie à près de 15 millions de personnes directement ou indirectement entre 2020 et 2021 et a infecté plus de 500 millions de personnes à la mi-2022. Les systèmes de santé mondiaux ont été submergés, et les services de santé essentiels ont été perturbés dans 92 % des pays étudiés. La pandémie a également inversé près de dix ans de progrès en matière d’espérance de vie mondiale et a freiné les avancées vers la couverture sanitaire universelle. Sur le plan socio-économique, des millions de personnes supplémentaires ont basculé dans l’extrême pauvreté et la faim. En 2020, la part des travailleurs vivant dans l’extrême pauvreté a augmenté pour la première fois en deux décennies, faisant basculer 8 millions de travailleurs supplémentaires dans la pauvreté. Le COVID-19 a anéanti plus de quatre années de progrès dans la lutte contre la pauvreté. L’éducation a également été durement touchée, avec environ 147 millions d’enfants qui ont manqué plus de la moitié de leur scolarité en présentiel entre 2020 et 2021. Les femmes ont été affectées de manière disproportionnée par la perte d’emploi, l’augmentation de la charge de travail domestique non rémunéré et l’intensification de la violence domestique. La prévalence de l’anxiété et de la dépression a augmenté d’environ 25 % en 2020, en particulier chez les jeunes et les femmes.
• L’Escalade des Conflits : Une Crise Humanitaire Sans Précédent Le monde connaît le plus grand nombre de conflits violents depuis 1946, avec un quart de la population mondiale vivant dans des pays touchés par des conflits fin 2020. Le nombre de personnes déplacées de force a atteint un niveau record de 100 millions en mai 2022, s’élevant à près de 120 millions en mai 2024. La guerre en Ukraine, en particulier, a exacerbé les crises alimentaire, énergétique, humanitaire et migratoire, faisant grimper les prix des denrées alimentaires, du carburant et des engrais à l’échelle mondiale. Les pertes civiles dans les conflits armés ont bondi de 72 % entre 2022 et 2023, marquant la plus forte augmentation depuis l’adoption de l’Agenda 2030 en 2015. En 2023, 4 civils sur 10 tués étaient des femmes et 3 sur 10 étaient des enfants. Par ailleurs, 2023 a été l’année la plus meurtrière jamais enregistrée pour les migrants, avec 8 177 décès documentés.
• Le Chaos Climatique Croissant : Un Multiplicateur de Crises Les changements climatiques agissent comme un « multiplicateur de crise », avec des impacts ressentis aux quatre coins de la planète sous forme de vagues de chaleur, de sécheresses et d’inondations. L’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée, avec des températures moyennes mondiales dangereusement proches de la limite inférieure de 1,5°C de l’Accord de Paris. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) continuent d’augmenter, atteignant de nouveaux records en 2022 et sans signe de ralentissement en 2023. Bien que les perturbations liées au COVID-19 aient entraîné une baisse temporaire des émissions de CO2 en 2020, elles ont rebondi de 6 % en 2021, atteignant leur niveau le plus élevé jamais enregistré. Les subventions aux combustibles fossiles ont atteint un niveau record de 1,53 billion de dollars en 2022, un obstacle majeur à la transition énergétique. Malgré les engagements, les politiques nationales actuelles mettent le monde sur la voie d’un réchauffement de 3°C, et il n’y a actuellement que 14 % de chances de limiter le réchauffement à 1,5°C.
Les Inégalités Persistantes et les Déficiences Structurelles
Les rapports soulignent que les défis sont exacerbés par les déficiences systémiques et les inégalités de l’économie et du système financier mondiaux. Les pays en développement, en particulier les plus vulnérables, sont confrontés à des défis croissants avec un soutien international insuffisant. La croissance par habitant dans la moitié des pays les plus vulnérables est désormais plus lente que dans les économies avancées, une première ce siècle. L’écart d’investissement pour les ODD dans les pays en développement s’élève désormais à 4 000 milliards de dollars par an. De plus, ces pays sont insuffisamment représentés dans les instances de décision économique mondiales. Environ 60 % des pays à faible revenu sont à haut risque de surendettement ou en sont déjà victimes.
Un Appel Pressant à l’Action et à la Solidarité Internationale
Face à ces menaces, les Nations Unies appellent à des actions audacieuses et concertées pour remettre les ODD sur les rails.
1. La Paix est Primordiale : Il est impératif de résoudre les conflits armés par le dialogue et la diplomatie, et de prévenir de futurs conflits en respectant les principes de la Charte des Nations Unies. Le développement durable est impossible sans la paix.
2. La Solidarité Internationale est Indispensable : Les pays en développement ont un besoin urgent de ressources financières accrues et d’une marge de manœuvre budgétaire. Une réforme de l’architecture financière internationale, jugée « dépassée, dysfonctionnelle et injuste », est nécessaire pour faciliter des investissements bien plus importants dans les ODD. Le Secrétaire général propose un « SDG Stimulus » d’au moins 500 milliards de dollars par an pour débloquer des financements et des investissements supplémentaires.
3. Accélération Massive de la Mise en Œuvre : Des investissements massifs et des partenariats plus efficaces sont requis pour opérer des transitions critiques dans des secteurs clés tels que l’alimentation, l’énergie et la connectivité numérique, afin de débloquer des progrès transversaux pour tous les ODD. Un effort concerté pour démanteler les barrières de genre et autonomiser toutes les femmes et les filles est également fondamental, car les objectifs ne peuvent être atteints sans l’égalité des sexes.nt commun autour de la justice sociale dans le cadre des ODD.
Les défis identifiés appellent à une intensification des efforts à l’échelle mondiale. Plusieurs axes prioritaires se dégagent :
- Préserver la paix et la stabilité, conditions indispensables à tout développement ;
- Réformer la gouvernance économique mondiale afin de garantir un meilleur accès au financement pour les pays les plus vulnérables ;
- Investir dans les transitions structurelles (énergie, alimentation, numérique, éducation) à fort potentiel de transformation ;
- Renforcer l’égalité des genres, levier transversal de progrès durable ;
- Assurer une meilleure intégration des jeunes générations et de la société civile dans les processus décisionnels.